Pascal Jardin vs Jean Jardin





On en a terminé avec la lecture de La Bête à bon dieu, de Pascal Jardin, sorti l'année même de la mort de l'auteur. Moins fort peut-être que La Guerre à neuf ans, le bouquin regorge néanmoins de scènes ahurissantes, drôles ou glaçantes, et de portraits que la plume de Jardin brosse avec un talent qu'on envie. On a toujours autant de peine à croire que l'auteur ne savait pratiquement ni lire ni écrire à 15 ans. À ce propos, il livre ici une lettre qu'il adressa à son père en 1949 ; il avait quinze ans, justement. On y joint la réponse de Jean Jardin, fort belle.

Pap.

Ge menuille detoit a Pariss. Gai écouté un concerto de Bêtove. J'été comme hivre. Alors ge suis montai sur mon veloy et gai dévalé comme un fous. Ensuite jetais abatu parle pois dela tristèce De mon queure. Esquuse mois de técrire a la machin, mé gai perdu mon styl-oh ! Tu est la seul person aqui ge puis me con Fier, car gus caprésent, écrire été par mois un suplise. Gai taime. Orvoir et a samedi. Pascal.


Mon tendre Foutrac.

Ta lettre bien singulière m'a donné le plaisir d'avoir de tes nouvelles. Je constate avec appréhension que tu te bats toujours avec l'alphabet comme d'Artagnan avec les gardes du cardinal de Richelieu ! Quel chantier que tes mots, tes phrases et tes chagrins ! Je rêve pour toi d'harmonie intérieure, mais rien en toi me semble vouloir y contribuer. Beethoven te pousse vers le vélo, dont tu uses à outrance, ensuite c'est l'épuisement romantique du poids de la tristesse. Je veux que tu saches, que je sais, que les malheurs sans causes de nos quinze ans sont les plus importants. Ils nous ouvrent les portes du Monde et de nous-même. Plus tard, quand tu seras grand, sinon vieux, et que l'amertume te prendra pour une femme ou un ami infidèle, souviens-toi, oui, souviens-toi du temps béni où tu versais des larmes comme la rosée du matin. La jeunesse est un luxe, use, abuse d'elle. Plus tu la fatigueras, plus elle sera immense...

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