Duke of Portland



Dans un volume de Henri de Régnier acheté récemment, un article intitulé Portland and Druce a particulièrement retenu notre attention. Il y est question de William John Cavendish Scott Bentinck, 5ème duc de Portland (1800-1879). Les lecteurs des Contes Cruels de Villiers de L'Isle-Adam se souviennent peut-être du conte consacré à ce personnage. Absent on ne sait pourquoi du fameux livre d'Edith Sitwell sur les excentriques anglais, notre duc est pourtant à classer parmi ces personnalités fantasques dont l'Angleterre semble (ou du moins fut longtemps) la patrie d'élection. Son excentricité tient d'abord à l'immense domaine familial, Walneck Abbey, où notre duc fit effectuer des travaux proprement pharaoniques pour lesquels des milliers d'hommes furent employés - et des millions de livres englouties. Outre un potager de neuf hectares, une immense bibliothèque, la plus grande salle de bal du pays et des installations hippiques tout aussi démesurées, ce sont les installations souterraines qui frappent l'esprit : des tunnels où l'on devait pouvoir circuler en calèche, mais aussi des chambres et salles imposantes, dont l'une de huit cents mètres carrés, destinée à servir de chapelle. L'explication de cette folie bâtisseuse se trouve dans la réclusion volontaire à laquelle se condamna le duc, "retraite définitive, absolue et funèbre" décidée au retour d'un voyage au Levant. La raison en serait une "maladie hideuse et incurable", la lèpre peut-être, qui aurait défiguré le duc. Il ne vivait que dans quatre pièces de son immense domaine, peintes en rose et à peine meublées.

Mick Jackson a écrit sur le personnage un livre traduit chez Bourgois, L'Homme souterrain.

L'histoire se suffirait. Sauf qu'une certain Anna Maria Druce affirma quelques années après la mort du duc que son époux Charles Thomas Druce, décédé en 1864 et enterré au cimetière de Highgate, n'était autre que le duc de Portland. Celui-ci ne serait pas resté prisonnier de son château, ainsi que tout le monde le pensait : à en croire la veuve Druce, il l'aurait épousée dans le plus grand secret, goûtant à ses côtés pendant dix ans une existence des plus banalement bourgeoise et menant une double vie - d'un côté le reclus de Walneck Abbey, de l'autre le mari de la très ordinaire Mme Druce, de Baker Street. Les journaux s'emparèrent de cette histoire peu crédible (on dirait du Ponson du Terrail) qui occupa les tribunaux et fit les délices du grand public jusqu'en 1903, date à laquelle Mme Druce fut placée dans un établissement psychiatrique. L'affaire
n'était pas terminée pour autant, puisque le fils de M. Druce (le vrai), se lança à son tour dans la bataille juridique, cherchant à prouver que son père était bel et bien le duc de Portland. Son internement dans un asile psychiatrique, en 1911, fut l'ultime rebondissement de cette comédie grotesque ponctuée de péripéties trop nombreuses pour être relatées ici. On évoquera simplement l'ouverture du cercueil du (vrai) M. Druce en 1907. Anna Maria Druce avait toujours affirmé, pour soutenir sa fable, que ledit cercueil ne contenait pas pas les restes mortels de Charles Thomas Druce, mais des lingots de plomb. On découvrit évidemment le corps du vrai M. Druce.

Il se pourrait que le duc de Portland devienne une de nos (innombrables) turlutaines, ces prochains mois.



Commentaires

  1. Passionnant. Et, comme toujours, dans ce genre d'histoires, le rôle récurrent de l'hôpital psychiatrique.

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