commentaire : on pensait ne jamais trouver le numéro 2 de Monsieur Bloom. C'est chose faite, et on a donc à présent les cinq livraisons de cette revue que Franck Venaille anima entre 1978 et 1981. Voici la présentation que Venaille en fait lui-même dans C'est nous les modernes, publié fin 2010 chez Flammarion :
MONSIEUR BLOOM PRÉFÈRE LES ROGNONS DE MOUTON AU GRIL, est-ce pour cela que, dès le départ, en 1978, Monsieur Bloom est une revue à laquelle "on ne s'abonne pas" ? La formule revient dans chacun des cinq numéros : Fiction quadrillée (1) - L'espace mental (2) - De mémoire (3) - Pages d'écriture (4/5) - Fragments (6). Pour moi, c'est une manière que j'espère élégante de fixer les règles du jeu - on ne s'abonne pas parce que le destin de toute revue, par définition est précaire, mais également parce que la langue l'est aussi. À sa manière c'est ce que laisse entendre Joyce. Il nous faut donc loyalement envisager l'idée que toute littérature naît blessée, souffrant pourquoi pas de boulimie ! Intéressons-nous donc aux goûts culinaires de M. Leopold Bloom qui se nourrissait avec délectation des organes internes des mammifères et des oiseaux. Il aimait une épaisse soupe d'abattis, les gésiers au goût de noisette, un coeur rôti avec sa farce, des tranches de foie frites dans la chapelure, des oeufs de morue rissolés. Par-dessus tout il aimait les rognons de mouton au gril qui flattaient ses papilles gustatives d'une légère saveur au léger parfum d'urine. Le réalisme joycien s'exprime là dans ces quelques lignes d'Ulysse, les premières où notre héros apparaît. Joyce ne le décrit pas. Il souligne une attirance. Elle aurait pu être purement sexuelle. Elle l'est, mais à sa manière, en s'en prenant d'emblée à la totalité interne du corps. C'est ce que j'ai voulu réaliser dans cette revue. Dès le numéro 1 la chair apparait dans N.Y.C. Porno, la chair et la pensée usée par l'âge qui oblige à passer par les avis de recherche pour retrouver des êtres disparus dans la ville. Tout cela est réel, extrait de journaux, puis réécrit inlassablement. La ville et l'écriture. La mémoire et l'écriture. L'espace mental et l'écriture. Voilà ce qui va être la ligrw esthétique d'une revue définie comme : un lieu clos de création où des oeuvres et des écritures interrogent des formes du réel. Sommes-nous si loin que cela des gésiers au goût de noisette ? La suite du repas va de soi. J'invite dans Monsieur Bloom des écrivains et des artistes à qui je laisse toute liberté pour remplir le nombres de pages sur lequel nous nous sommes mis d'accord. Raquel joue avec le blanc et l'espace. Jean-Pierre Bertrand fait circuIer des photos non représentatives de Buenos Aires. Jan Voss propose des interventions "enfantines". Les écrivains, eux , s'expriment au nom d'une "liberté contemporaine" permettant de tout dire. Des noms ? Maurice Roche, Mathieu Bénézet, Hubert Lucot, Daniel Biga, Georges Pérec, Alain Veinstein, William Cliff, Bernard Delvaille. Pour ceux-là l'écriture doit posséder ce léger parfum d'urine qu'évoque M. Leopold Bloom. Tout cela a tenu en 210 pages. Plus tard j'ai eu souvent l'idée de continuer l'aventure, donc de bouger dans la ville. Ce qu'à sa manière M. Leopold Bloom, courtier de Dublin, accomplit, ce 16 juin 1904.
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