Ibn Battuta



Parmi les livres forcément disparates rangés près du lit qui fut le nôtre pendant quelques jours, il y avait ce Que Sais-Je ? de 1948. On l'a ouvert, feuilleté et on est tombé en arrêt sur un chapitre consacré à un certain Ibn Batouta (sic), un Tangérois docteur en droit et en théologie (1304-1369) qui selon Wikipédia parcourut près de 120 000 kilomètres en 29 ans. Le nom, irrésistiblement, et pour des raisons diverses, nous a aussitôt fait penser à Borgès. Et chose curieuse, l'évocation du parcours ahurissant de ce touriste d'un autre temps semble tout droit sortie d'un des textes du grand Argentin. On a hâte à présent de lire Ibn Battuta dans le texte...

(...) Il passe à Sinope, dont l'émir vit de piraterie et coule les vaisseaux adverses en les faisant percer par des plongeurs durant la bataille. Il atteint la Crimée et voyage, au pays du sultan Mohammed Uzbek-khan, dans une tente montée sur char à la mode des Tartares. Reçu par le sultan, il admire sa capitale démontable, sa vaisselle d'or et ses richesses venant d'Inde et de Chine. On le conduit jusqu'à Boulgar où les nuits sont courtes et il voudrait aller jusqu'au "pays du crépuscule" où la glace oblige à changer les chevaux contre des chiens. Il renonce à cet effort, revient au Kiptchak où il sollicite l'autorisation de suivre à Constantinople l'une des épouses du sultan, fille de l'empereur Andronic III. En compagnie de la princesse Baïloun, parmi cinq cents cavaliers, deux cents esclaves, deux mille chevaux, trois cents boeufs, deux cents chameaux, quatre cents voitures et une mosquée démontable, il suit le rivage de la mer Noire, traverse les bouches du Danube et arrive dans Constantinople dont les cloches ébranlent l'horizon. S'il ne peut visiter Sainte-Sophie parce que musulman, il est introduit à la cour et reçu avec honneur.
Après un mois de séjour, il reprend en plein hiver la route du Kiptchak, enveloppé de peaux de loups et la barbe pleine de glaçons. Par la Volga et Boukhara, il arrive à Samarkande, une des plus belles villes de la terre, aux palais et aux jardins magnifiques, aux nombreux moulins construits sur la rivière du Potier. De là il atteint l'Indus, séjourne trois ans à Delhi où il est nommé cadi et se fait bien voir du terrible sultan Mohammed Châ dont les éléphants lancent en l'air les condamnés à mort et les reçoivent sur leurs défenses garnies de poignards.

Commentaires

  1. Je ne savais pas les Que sais-je? aussi lyrique.

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  2. On est en 1948...
    Et sans vouloir diminuer les mérites de l'auteur (qui, entre autres choses, accompagnait Leiris dans l'expédition qui donna naissance à L'Afrique fantôme), il s'est visiblement inspiré des textes de Battuta lui-même (http://www.scribd.com/doc/25448903/Voyages-de-Ibn-Battuta-de-l’afrique-du-nord-a-la-mecque)

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  3. On pense à Borgès, mais on se doit surtout de penser à Raymond Roussel, qui parcourut lui aussi le monde mais sans jamais descendre de son yacht.

    Voici ce qu'on lit dans le premier chapitre de son roman Locus Solus :

    Quand Ibn Batouta entra seul à Tombouctou, une silencieuse consternation pesait sur la ville.
    Le trône appartenait alors à une femme, la reine Duhl-Séroul, qui, à peine âgée de vingt ans, n’avait pas encore choisi d’époux.
    Duhl-Séroul souffrait parfois de terribles crises d’aménorrhée, d’où résultait une congestion qui, atteignant le cerveau, provoquait des accès de folie furieuse.
    Ces troubles causaient de graves préjudices aux naturels, vu le pouvoir absolu dont disposait la reine, prompte dès lors à distribuer des ordres insensés, en multipliant sans motif les condamnations capitales.
    Une révolution eût pu éclater. Mais hors ces moment d’aberration c’était avec la plus sage bonté que Duhl-Séroul gouvernait son peuple, qui rarement avait goûté règne aussi fortuné. Au lieu de se lancer dans l’inconnu en renversant la souveraine, on supportait patiemment les maux passagers compensés par de longues périodes florissantes. Parmi les médecins de la reine aucun jusqu’alors n’avait pu enrayer le mal.
    Or à l’arrivée d’Ibn Batouta une crise plus forte que toutes les précédentes minait Duhl-Séroul. Sans cesse il fallait, sur un mot d’elle, exécuter de nombreux innocents et brûler des récoltes entières. Sous le coup de la terreur et de la famine les habitants attendaient de jour en jour la fin de l’accès, qui, se prolongeant contre toute raison, rendait la situation intenable.

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  4. Je m'incline... C'est vrai que les histoires de "capitale démontable" et de "moquée démontable" font assez penser à la roulotte de Roussel.

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  5. Et ces ahurissants éléphants-bourreaux !

    Mais il n'y a nullement à s'incliner : si je pense souvent à ce passage de Locus Solus (surtout la splendide première phrase), c'est tout simplement parce qu'il est reproduit sur le deuxième plat de mon édition "folio" de ce texte.
    Cerise sur le gâteau : l'explorateur qui raconte cet épisode dans le roman se nomme Echenoz (je viens de le remarquer, en relisant) !

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  6. Corse ? Mais Echenoz est né à Orange, me semble-t-il, et a grandi dans la banlieue de Marseille : son père était chirurgien à Bouc Bel Air, dont il a fait le patronyme d'un de ses personnages (dans L'Équipée malaise, si mes souvenirs sont bons).
    Mais en effet, je ne crois pas que quiconque ait jamais relevé cette coïncidence, qui pourrait faire croire que l'auteur de Cherokee a toujours écrit sous pseudonyme…

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  7. Bon, je viens de vérifier sur Ouiquipédia : il semblerait qu'en matière de précision biographique, je peux toujours repasser…

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  8. Echenoz n'est définitivement pas un pseudonyme - des recherches sur Internet livrent quelques déclarations de l'intéressé sur le sujet. Mais quel hasard, tout de même !

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  9. Oui, vu la faible fréquence du patronyme : et un hasard dont certains savent se délecter — dont vous et moi, à ce qu'il semble…
    J'ai lu Locus Solus voici une trentaine d'années, bien avant de découvrir Echenoz, donc je ne me souvenais pas du tout de ce détail, seulement de la description de ces machines fantastiques et tarabiscotées à souhait qui parsèment le parc, ces mécanismes déments dont l'ultime but est de faire jaillir des histoires.

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