Emmanuel Carrère - Limonov



commentaire : après le Jean Rolin, on a décidé de rester chez P.O.L. et d'enchaîner sur le dernier livre d'Emmanuel Carrère - qu'on n'avait pas lu depuis une éternité, depuis l'assez moyen Hors d'atteinte, c'est dire. On est sur le point de terminer ce bouquin franchement extraordinaire, non seulement par la figure dont il suit la trajectoire, mais aussi la juste façon qu'a trouvée Carrère de l'évoquer. Son livre (dont le style un rien débraillé est parfois limite-limite) tire une incroyable dynamique de la juxtaposition et de la superposition de plusieurs trames : la bio ahurissante de Limonov (personnage fascinant, éminemment littéraire, qu'on se prend à aimer ou détester au fil des pages), celle de Carrère lui-même (qu'il soit ou non dans la peau du biographe de Limonov) et l'histoire de ce qu'on pourrait appeler le bloc de l'Est (l'auteur réussissant notamment le prodige de rendre un peu moins opaques les guerres de Yougoslavie...). Très bel épilogue. Et au final, l'envie d'aller lire Limonov (même s'il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent en français), mais aussi Carrère, que l'on avait on ne sait trop pourquoi délaissé.  
Même si, par sa légèreté, il n'est pas pas forcément représentatif du livre, on ne résiste pas au plaisir de livrer un petit extrait mettant en scène Limonov, mais aussi deux auteurs français qui nous sont très chers.

Comme on l'invitait maintenant à ce genre de manifestations, il s'est retrouvé un jour à Budapest, à une rencontre internationale d'écrivains. Il y avait de grands humanistes comme le polonais Milosz et l'Africaine du Sud Nadine Gordimer. Côté français, le jeune Jean Echenoz, blond, réservé, élégant, et Alain Robbe-Grillet avec sa femme : lui, sardonique et jovial, le geste large, la voix profonde, enchanté de sa célébrité mondiale mais comme un carabin peut être enchanté d'une bonne blague ; elle, une petite dame vive, rieuse, qui passait pour organiser des orgies; tous deux, en somme, très sympathique. Les autres, c'était l'habituel assortiment de vestes en tweed, de lunettes demi-lune, de permanentes bleutées, de petits ragots éditoriaux : pas très différent d'une délégation de l'Union des écrivains en goguette à Sotchi.

Il y a eu un sinistre débat avec des écrivains hongrois, et quand un des organisateurs a dit sa fierté d'accueillir des intellectuels aussi prestigieux, Édouard a déclaré qu'il n'était pas un intellectuel mais un prolo, et un prolo méfiant, pas progressiste, pas syndiqué, un prolo qui sait que les prolos sont toujours les cocus de l'histoire. Les Robbe-Grillet ont ri de bon cœur, Echenoz souriait mais comme s'il pensait à autre chose, les Hongrois étaient atterrés, et pour les atterrer davantage il en a remis une couche, expliquant que parce qu'il avait été ouvrier il méprisait les ouvriers, parce qu'il avait été pauvre et d'ailleurs l'était toujours, il méprisait les pauvres et ne leur donnait jamais un centime. Après cette sortie, il était tranquille, on ne lui a plus demandé d'intervenir. Le soir, au bar de l'hôtel, il a foutu son poing sur la gueule d'un écrivain anglais qui avait mal parlé de l'Union soviétique. D'autres écrivains ont voulu les séparer, Édouard au lieu de lâcher l'affaire s'est mis à cogner comme un enragé et c'est devenu une bagarre générale, dans le feu de laquelle, à ce que m'a dit Echenoz, la respectable Nadine Gordimer aurait reçu un coup de tabouret.

Commentaires

  1. Pour raconter la vie d'un tel personnage hors-série, j'ai trouvé la plume de Carrère un peu light. J'attendais un récit plus... périlleux ?

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  2. J'ai lu quelque part que Carrère devrait reverser une part des retombées financières de son prix à Limonov. Je suis d'accord.

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  3. Limonov a déjà raconté sa vie avec la plume qu'il fallait, non ?

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