Le tréma d'Edgar Poe


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commentaire : dans le 19e arrondissement parisien, la butte Bergeyre reste un lieu relativement peu connu, pour la plus grande joie de ses (heureux) habitants et des amateurs de jolis lieux épargnés des foules - dont nous sommes. L'ensemble se compose d'une demi-douzaine de rues bordées de petits immeubles et de maisons datant pour la plupart des années 1920, décennie au cours de laquelle la butte fut lotie (elle était auparavant occupée par un stade). Pour ajouter encore à l'attrait de l'endroit, du moins à nos yeux, deux des rues portent des noms qui nous laissent rêveur, la rue Remy-de-Gourmont et la rue Edgar-Poë.
Edgar Poë, avec un tréma sur le "e".
Notre premier contact avec l'auteur des Histoires Extraordinaires se fit grâce à une vieille édition du Livre de Poche (reproduite ici) sur la couverture de laquelle, justement, le "e" de Poe s'ornait d'un tréma. On a donc longtemps cru que le tréma était d'origine, avant de comprendre notre erreur. Une erreur visiblement courante si l'on en juge au nombre d'éditions (on n'en reproduit qu'une infime partie) où l'on retrouve l'accent fautif, et jusque sur cette plaque de la butte Bergeyre.
Alors ?
Alors, on s'est interrogé sur ce fichu accent, absent des premières éditions françaises de Poe (même si dans une lettre à Sainte-Beuve de 1856 Baudelaire notait : "Je suis persuadé qu'un homme aussi soigneux que vous ne m'en voudra pas, si je le prie de bien observer l'orthographe du nom (Edgar Poe). Pas de d, pas de tréma, pas d'accent") et qui, semble-t-il, est apparu dans les années 1890 - comme en témoigne cette édition de 1892, avec une traduction du Scarabée d'or par J.H. Rosny. On s'est interrogé, on a mené des recherches, découvert que d'autres se posaient la même (fondamentale) question, et on a fini par s'accorder sur plusieurs tentatives d'explications qu'on livre ici sans hiérarchie précise.
- Jusqu'au XIXe siècle, justement, l'accent tréma était très utilisé, jusqu'à ce qu'une réforme orthographique (1878) décide notamment que le tréma sur "e" serait désormais remplacé par un accent aigu ou grave. Cela pour rappeler qu'on n'écrivait pas "poète" mais "poëte".
- D'ailleurs, avant cette réforme, un certain Charles Baudelaire (traducteur de Poe, donc) se présentait comme "poëte" et non comme "poète"...
- Durant les années 1890, un certain Aurélien Lugné-Poë, acteur, metteur en scène et directeur de théâtre français (le fameux théâtre de l'Oeuvre), commença à faire parler de lui, s'imposant comme une grande figure du théâtre symboliste. Son tréma était visiblement d'origine.
- D'autres auteurs, comme Poe, ont vu leur patronyme affublé d'un accent fautif, à commencer par Daniel Defoe, qui devient en France Daniel Defoé (ou De Foé), et dont le héros, Robinson Crusoe, devient quant à lui Robinson Crusoé (et parfois Crusoë).
- Et pour poursuivre sur le tréma, rappelons que les soeurs Brontë, bien qu'anglaises, ont droit à un tréma sur leur "e". Eugène Sue en avait un, de tréma, sur le "u", qui a disparu vers la fin du XIXe siècle... à peu près au moment où le "e" de Poe s'en voyait coiffé. Curieusement, le tréma est revenu sur la plaque de la rue parisienne de Sue (ou Süe). Pierre Louÿs, lui, né Louis, s'est ajouté un "y" surmonté d'un tréma.  On s'y perd...

Si un lecteur a d'autres explications à ajouter à ce fatras... 












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