« Je me méfie beaucoup, chez un auteur de
films, de ce qu’on nomme le « naturel » : c’est toujours une
imposture. Mais pour obtenir, dans le geste ou la phrase de cinéma, tout
l’artifice qui me convient, il importe de trouver un acteur – une actrice – qui
sache se tirer avec une aisance toute naturelle (feinte, bien entendu) des
situations les plus impossibles : comme sans s’apercevoir que le
fonctionnement « normal » du monde a été déréglé. La première soirée
que je passas avec Anicée, c’était au restaurant. Au lieu de me faire les
sourires d’usage (je cherchais une héroïne), elle plaça sur la banquette entre
nous un sac gigantesque, contenant des objets divers dont elle déclarait avoir
à tout moment besoin, établissant ainsi un tel barrage que j’avais l’impression
de lui parler à plusieurs kilomètres. Ne vous fiez donc pas, lecteur naïf, aux
mines engageantes ici présentées, qui vous paraîtront sortir sans fard de la
nature. C’est au contraire le comble de l’art. Se laisser voir nue, de toute
façon, ne dérange pas le moindrement Anicée. C’est vous seulement qui voulez
imaginer qu’il y a pour elle quelque chose de troublant (car vous avez horreur,
j’espère, du naturisme). Quant à votre trouble à vous, ça la ferait plutôt
rire… Au bout de quelques jours du tournage de Glissements progressifs du plaisir, Anicée s’aperçut que les autres
comédiennes demandaient qu’on vide le plateau pour les scènes déshabillées.
Elle exigea donc que l’on en fît autant pour elle. (« Il n’y a pas de
raison, après tout ! ») Puis, oubliant aussitôt sa nudité, elle
courut à l’autre bout des studios ébahis pour chercher ses cigarettes.
« Oubliant », ai-je dit… Vous vous y seriez en tout cas trompé, vous
aussi. Après ce Jeu avec le feu, je
vais écrire exprès pour Anicée un troisième film, où elle ne montrera même pas
les chevilles. Ce sera bien fait pour elle ! »
commentaire : Alain Robbe-Grillet dans Lui n° 136, mai 1975, numéro qu'on vient d'acheter pour trois fois rien. On espère revenir très prochainement sur Anicée Alvina, délicieuse actrice à la déroutante filmographie. Elle a joué dans deux longs métrages réalisés par Alain Robbe-Grillet, Glissements progressifs du plaisir (1974) et Le Jeu avec le feu (1974). Le projet de film évoqué pas ARG n'a jamais vu le jour - son film suivant, La Belle captive, n'étant sorti qu'en 1983. Anicée Alvina ne figure pas au générique.
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