Têtes de pipes



commentaire : un ouvrage singulier, c'est le moins qu'on puisse dire, et dont on n'avait jamais entendu parler. Publié en 1885 chez l'incontournable Léon Vanier, il réunissait 21 portraits d'écrivains et journalistes. L.G. Mostrailles, l'auteur, est un pseudonyme derrière lequel se cachent Léo Trézenik (de son vrai nom Léon-Pierre-Marie Épinette pour le "L") et Georges Rall (pour le "G") respectivement rédacteur en chef et secrétaire de rédaction de Lutèce — hebdomadaire politique et littéraire dans lequel ces textes parurent d'abord. Fernand Icres, Maurice Rollinat, Laurent Tailhade, Émile Cohl, Georges Lorin, Edmond Haraucourt, Robert Caze, Francis Enne, Émile Peyrefort, Édouard Norès, Ernest Monin, Ernest Grenet-Dancourt, Georges Rall, Leo Trézenik, Émile Goudeau, Jean Rameau, Carolus Brio, Henri Beauclair, Jean Moréas, Paul Verlaine et Léon Cladel sont les vingt et un portraiturés (très connus pour certains, donc, et plus qu'oubliés pour d'autres), évoqués de façon très fantaisiste, parfois provocatrice, en tout cas bien dans l'esprit de certains cercles bohèmes de l'époque (Hydropathes, Fumistes, Zutistes et autre Jemenfoutistes) que fréquentait Trezenik. 
Le plus, ce sont les photographies signées Émile Cohl, réalisées spécialement pour l'occasion, qui accompagnent chaque texte… avec une mention toute particulière pour deux d'entre elles. Laurent Tailhade et Léon Cladel ayant refusé qu'on publie la leur, une étonnante solution de remplacement fut imaginée : Laurent Tailhade fut représenté par une main tenant une rose entre ses doigts (“Il s’imagine perpétuellement tenir une rose qu’il offre, infatigablement, à tout le monde, aux hommes comme aux femmes. Il faut ce « voulez-vous de ma rose ? » pour expliquer son geste – il n’en possède qu’un – ce geste qui stupéfie tant de gens et dont il ponctue chacune de ses phrases si correctement, si pédantesquement tirées au cordeau : l’avant-bras jeté en avant, dans une courbe gracieuse, et, cependant que sont fermés l’annulaire et le petit doigt, le pouce réuni à l’index et au médium, pour tenir la tige de la rose virtuelle”) tandis qu'une oreille pleine de coton figura Léon Cladel (“Vallès l'avait défini : un pâtre qui a du coton dans les oreilles.” ). Le procédé est incroyablement audacieux, moderne, préfigurant certaines réalisations dadaïstes et surréalistes…
Tiré à une centaine d'exemplaires seulement, enrichi de photographies originales (elles diffèrent légèrement d'un exemplaire à l'autre) contrecollées, le livre est introuvable ou presque, en tout cas hors de prix. Il fut toutefois réédité en 1991 par un mystérieux éditeur, Le Bossu Bitor (drôle de nom qui est le titre d'un poème de Tristan Corbière).
À noter, pour terminer, que les photographies furent prises dans le studio d'Émile Cohl, boulevard de Strasbourg, là où deux décennies plus tard il allait réaliser Fantasmagorie, le premier dessin animé connu (voir tout à la fin de ce post).







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