Conserver les livres de la poudre




En parcourant l’Advis pour dresser une bibliothèque de Gabriel Naudé (publié en en 1627), un petit passage a attiré notre attention :

« Finalement ce seroit une grande oubliance, si apres avoir fourny une bibliotheque de toutes ces choses, elle n’avoit point ses tablettes garnies de quelque petite serge, bougran ou canevas accommodé à l’ordinaire avec des cloux dorez ou argentez, tant pour conserver les livres de la poudre, que pour donner une grace nompareille à tout le lieu »

Apparemment, la pratique fut courante tout au long du XVIIe siècle et une partie du siècle suivant : avec des clous à tête dorée ou argentée, on fixait au chant des tablettes des bandes de drap, verte ou rouge le plus souvent, d’environ cinq à sept centimètres, prolongées par du galon ou des franges en or ou en soie. Le but ? Protéger la tranche supérieure des volumes de la poussière (la « poudre », comme on le disait joliment), les franges permettant de sortir facilement les livres, sans les abîmer. Cette protection avait en outre une vertu décorative et aussi un avantage esthétique : elle permettait de dissimuler les hauteurs inégales des volumes.

L'idée à de quoi interpeller quiconque s'est un jour retrouvé confronté dans sa bibliothèque à des tranches supérieures de livres honteusement  empoussiérées… Pour se faire une idée plus précise de ce que ce peut donner cette ornementation, le mieux est d'aller faire un tour à la  bibliothèque Mazarine, à Paris, qui adopta le principe dès le milieu du XVIIe siècle (Naudé fut le bibliothécaire de Mazarin, et “la Mazarine” fut largement inspirée par ses “advis”). Les rayonnages des armoires inférieures sont ainsi ornés de ces « bavolets » (c'est le mot employé sur le site), verts, qui furent “ponctuellement entretenus et renouvelés au XVIIIe et au XIXe siècles”, puis “entièrement retirés en 1974, et remplacés à l’identique, ont été changés à la fin du XXe siècle”. 

Des tableaux et gravures permettent d'entrevoir d'autres exemples de bibliothèques du XVIIe siècle équipées de ces « bavolets »  — à titre d'exemples, on reproduit le portrait de l'archevêque-duc de Reims Charles-Maurice Le Tellier et celui du médecin allemand Christoph Gottwald. Il y en sûrement d'autres.

Quant à savoir si un jour les bavolets feront leur retour dans les bibliothèques des particuliers, c'est peu probable… 




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