commentaire : on a lu ce week-end le In Memoriam de Stéphane Audeguy, paru en 2009 à l'enseigne du Promeneur - et trouvé pour pas un rond à l'endroit habituel. C'est un petit livre distrayant, un peu court et léger estimeront certains, qui tournicote plaisamment durant une centaine de pages autour de la mort en livrant toutes sortes d'anecdotes (forcément singulières) sur le décès d'hommes et de femmes plus ou moins illustres. En couverture, et en médaillon, il y a cette photo qui nous a intrigué - car on ne la connaissait pas, ignare que l'on est, alors qu'elle est visiblement fameuse.
Il s'agit d'un autoportrait d'Hippolyte Bayard (1801-1887), pionnier méconnu de la photographie dont les recherches furent éclipsées par celles de Daguerre et de l'Anglais Talbot. Alors que Daguerre bénéficiait d'importantes aides de l'état, Bayard était pratiquement ignoré. Pour protester et attirer l'attention, il eut l'idée de mettre en scène sa propre mort : une photo de lui en noyé, accompagné d'un texte (voir plus bas) expliquant sa situation. Tout cela date d'octobre 1840, et on est forcément saisi par la modernité de cette première mise en scène de l'histoire de la photographie - dans ses aspects politiques, publicitaires, artistiques et esthétiques.
Cela nous a fait penser, dans un registre différent, aux photos d'une autre mise en scène mortuaire, celles de Sarah Bernhardt dans son fameux cercueil en bois de rose capitonné (voir plus bas). Elle y dormait, paraît-il, y recevait ses visiteurs, y répétait ses rôles. Elle entretenait la légende avec un soin tel qu'on ne sait trop ce qu'elle y faisait exactement, mais on sait que d'autres figures du monde et des lettres de ce temps (début XXe) avaient aussi un cercueil à demeure - la Casati, Claude Farrère ou d'Annunzio, notamment.
Et par un nouveau rebond de la pensée, les photos de Sarah Bernhardt convoquent une nouvelle image de notre album : Edith Sitwell posant en gisante en 1927 devant l'objectif de Cecil Beaton...
« Le cadavre du Monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, inventeur du procédé dont vous venez de voir ou dont vous allez voir les merveilleux résultats. À ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cet ingénieux et infatigable chercheur s'occupait de perfectionner son invention.
L'Académie, le Roi et tous ceux qui ont vu ces dessins que lui trouvait imparfaits les ont admirés comme vous les admirez en ce moment. Cela lui fait beaucoup d'honneur et ne lui a pas valu un liard. Le gouvernement qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre a dit ne rien pouvoir faire pour M. Bayard et le malheureux s'est noyé. Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui depuis longtemps et aujourd'hui qu'il y a plusieurs jours qu'il est exposé à la morgue personne ne l'a encore reconnu ni réclamé. Messieurs et Dames, passons à d'autres, de crainte que votre odorat ne soit affecté, car la figure du Monsieur et ses mains commencent à pourrir comme vous pouvez le remarquer. 18 octobre 1840 »
Commentaires
Enregistrer un commentaire