Revue singulière - Thomas Clerc





commentaire : il y a quelque temps, Thomas Clerc a eu la gentillesse d'évoquer assez longuement notre Revue singulière sur France Culture, dans le cadre du RenDez-Vous de Laurent Goumarre (on peut écouter ici, à partir de 33'45 environ). Histoire de se remonter le moral après le flop douloureux de notre publication, on livre ici la retranscription approximative de cette chronique très enjouée - qu'il est évidemment préférable d'écouter.
On en profite pour signaler que Thomas Clerc sortira à la rentrée chez Gallimard un texte très attendu, Intérieur, où l'auteur se propose en 400 pages de décrire minutieusement son appartement. Exercice fascinant auquel, en leurs temps, s'étaient déjà livrés Edmond de Goncourt et Mario Praz, dans ces deux livres hyperboliques que sont La Maison d'un artiste et La Maison de la vie.


Q
J’ai eu beaucoup de plaisir à lire la Revue singulière, une revue littéraire émanant des éditions du même nom et dont voici le premier numéro. Singulière, elle l’est par son format 18 x 12,5 – un peu plus large qu’un livre de poche, on pourrait la glisser dans une veste de style. Mais elle est singulière surtout parce qu’elle sera nécessairement unique, puisqu’il n’y aura qu’un seul numéro. Il faut donc en profiter. J’ai la passion pour les textes uniques – je pense au I remember, de Joe Brainard, par exemple.
Donc c’est un one-shot, et la revue n’est pas superstitieuse, puisque 13 noms propres s’affichent sur son poitrail ainsi qu’en 4e de couverture. La revue dégage une élégance certaine, et puisque nous pouvons l’être, commençons par les femmes. Il y en a trois. Louise Ebel (j’ignore si c’est un pseudonyme) s’attelle à l’image de la femme dans la littérature avec un texte intitulé Comme on serait heureux sans ces garces-là. C’est de l’ironie, bien sûr. Eva Truffaut, la fille de qui vous savez, propose une série de neuf photos sur des fragments de corps en noir et blanc. Et puis, enfin, un extrait de l’autobiographie de Tracey Thorn, la chanteuse d’un groupe pop actif dans les années 80 (et aussi 90...), Everything but the Girl.
La revue mêle écrivains et non-écrivains. J’aime beaucoup cela, parce que la définition de la littérature, contrairement à la médecine, c’est de ne pas s’afficher sur des plaques de cuivre ; aussi, ai-je été moins sensible à une nouvelle d’André Maurois qu’au texte très enlevé de Jean Touitou, le fondateur de la ligne A.P.C., qui ouvre ce numéro.
La revue mêle aussi les vivants et les morts, puisque la littérature est un peu également, comme dans le film de George Romero, entre les deux. Alors, on relit Frédéric Berthet, notoirement méconnu de son vivant, et on découvre des nouveaux, comme Olivier Benyahya, qui revient sur la sortie de son premier roman (le deuxième, en réalité...), Dexis & Dolly, d’une façon très drôle. Il écrit : « Jusqu’au dernier jour, ce roman s’est appelé Frédéric Beigbeder est un trou du cul christique, et ses livres sont écrits par la mort ». Personnellement, j’aurais enlevé « christique, et ses livres sont écrits par la mort »… bref, ce qui m’a plu, c’est l’autocommentaire du romancier par le critique lui-même.
On trouve aussi des établis et des découvertes. Du côté des découvertes, un joli texte de François Appas, qui s’intitule Sommes-nous vraiment conscients des infinies possibilité de nos flettes, un texte dada écrit en bon français. Du côté des établis, si l’on peut dire, le délicieux Patrick Mauriès, qui revient sur la réédition de son Second manifeste camp, paru en 1979, et qui reste d’un actualité troublante.
Bref, la Revue singulière se manifeste par un esprit assez subtil qui cherche à tisser des fils depuis la fin des années 70 jusqu’à aujourd’hui, en passant par les années 80, sorte de vêtement classique qui permet de réévaluer justement ces années 80. À ce propos, on peut lire dans la revue un extrait d’un roman de Guillaume Serp, qui s’appelle les Chérubins électriques. Ce roman a été publié en 1983, l’auteur est mort à 27 ans, et il écrit un texte qui est tout simplement… je suis tombé dessus en ouvrant la revue et j’ai cru que c’était un texte d’aujourd’hui. Ça commence par : « C’est un loft tout blanc, pratiquement dépourvu de meubles ». En fait, c’est un texte des années 80. Toute la revue a une espèce de rapport très étrange aux années 80 et c'est vraiment, de ce point de vue là, très intéressant.



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