Arthur Larrue - Orlov la nuit



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« Faustine s’appelait Faustine comme l’un des personnages du livre sur lequel elle rêvassait en tournant de temps en temps les pages. Ses yeux s'arrêtaient sur des mots, en oubliaient la plupart. La trame du roman se perdait en elle en une espèce de vape. Il était un peu plus de onze heures et elle était toujours au lit. » 

Plein de légèreté et d'insouciance, l'incipit est trompeur, limite roublard ; le lecteur se laisse prendre par la main et entraîner sans opposer la moindre résistance. Dans les pages suivantes, des références essaimées comme des petits cailloux incitent les éventuels récalcitrants à poursuivre la route : Blaise Cendrars, Jean-Patrick Manchette, Maurice Dantec, Rei Kawabuko, Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle-Adam, Fernando Pessoa… À la troisième page, il est question de Patrick Modiano dont Faustine « collectionnait d’anciennes éditions de poche où figuraient des dessins de Pierre Le-tan en couverture ». Et comme si cela ne suffisait pas, quelques pages plus loin encore, voilà que sont évoquées L’Invention de Morel d'Adolfo Bioy Casares (dont le personnage féminin principal se prénomme Faustine, tiens, tiens…) et le Locus Solus de Raymond Roussel (où l'on trouve aussi une certaine Faustine dans le chapitre 3, tiens, tiens, tiens)… 
Un univers semble se mettre en place qui se déglingue légèrement avec l'irruption les ouvrages d'un certain Nikolaï N. Orlov, philosophe russe underground porteur d'une pensée protéiforme un poil fumeuse. Il est notamment l'auteur d'un ouvrage sur L'Art poétique des insectes bibliophages qui a son rôle dans l'histoire. Comme la Russie, du reste.
Et puis, page 29, alors qu'on commence à se demander où l'on va, c'est l'entrée en scène du commissaire André Creuse, improbable flic en bout de course et fortement alcoolisé. Débute alors une espèce de thriller littéraire, coloré de métaphysique et de politique, un polar qu'on ne va pas essayer de raconter pour la bonne raison qu'il est assez irracontable (on peut le comprendre en lisant le texte de quatrième de couverture, qu'on reproduit plus bas). La narration est une mécanique aussi redoutable que déconcertante, faite de glissements, de superpositions, de mystifications ; les repères géographiques et temporels deviennent flous, les contours de personnages incertains, des personnages qu'on confond facilement avec leur double, leur ombre - ou même l'ombre des autres. C'est intelligent et brillant, vraiment, écrit avec un mélange parfait de rigueur et de gourmandise, à mille lieux des cucuteries écrites avec les pieds qui envahissent les librairies ou des ouvrages trop écrits qui tournent à vide. On a parfois pensé à Jean Echenoz, qui est cité, à Maurice Dantec, qui est cité aussi, à Don DeLillo, qui n'est pas cité, et à d'autres encore qu'on ne citera pas. On sait qu'on relira très vite Orlov la nuit pour tenter d'en percer les mystères.

La quatrième de l'éditeur :

Avril 2009, à Paris, Faustine disparaît avec son amant. Le commissaire André Creuse part à sa recherche au moyen du livre aux trois quarts effacé qu’elle a laissé derrière elle, et d’un traité d’entomologie signé Nikolaï N. Orlov consacré aux insectes mangeurs de papier. Ses conclusions sont aussi insensées que catégoriques : le couple a été avalé par un livre. Renvoyé de la police, Creuse plonge dans la folie et perd à peu près tout, y compris la trace de la disparue. Dix ans plus tard, un fait divers sanglant survenu dans un minuscule village ariégeois relance son enquête. Entre les mots et les livres d’Orlov, entre les Pyrénées ensommeillées et la Russie contemporaine, les ombres s’incarnent et se mettent à parler.




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