Je pense à vous ce soir, chez Raoul de Vallonges
Car j'écris à la table où vous avez rêvé
Et l'avenir qui fuit, le passé qui s'allonge
Rendront plus doux mon rêve où je vous ai trouvé.
Et si je pense à vous, seul sur cette banquette
Où vos contemporains ont posé leurs séants
C'est que ma solitude impitoyable et nette
M'a fait voir la puissance immense du néant.
Raoul, vous êtes mort l'année de ma naissance
Et pourtant, c'est bien vous que j'ai le plus aimé
Vous étiez la jeunesse et puis l'insouciance
Et vous avez toujours, sans vieillir, su charmer ;
Raoul, vous êtes morts, et vous aviez mon âge
Raoul, vous étiez jeunes et vous l'êtes resté
Moi, je ne suis pas mort, mais je tourne la page
De l'amour impossible à la réalité.
Penses-tu réussir, mon cher Raoul ! Aimienne
Fut trois ou quatre jours d'amour inassouvi
J'ai le temps de vieillir, Raoul, avant que vienne
La réussite de ce que j'aurai suivi ...
Et quand je vous relis, mon frère d'un autre âge
Je me confie à vous, qui seul, me comprendrez
Je pleure tout mon désespoir entre vos pages
Et peut-être qu'un jour, vous me consolerez...
Le restaurant Weber ! Vingt-et-un, rue Royale ...
Vingt-et-un et même vingt-trois ! Dieux, que c'est vieux !
Je suis là, survivant d'une époque ancestrale
Espérant voir toujours ce qu'ont pu voir vos yeux ...
Je pense aux petits bleus de Gérard de Kerante
Qu'il écrivit à la terrasse... à vos amours
Pour Odette Laurent, ou votre cœur en pente
A pensé reposer un peu plus de huit jours
Et les œufs brouillés de Pierre Lionel Sylvande !
Jeanne, et Blanche-Marcelle ! Et Flossie aux yeux verts !
Raoul, restez ici ce soir... Je vous demande
De calmer des désirs que l'on croirait pervers...
Raoul, je suis tout seul, et personne ne m'aime
Raoul, je me cramponne à de vieux souvenirs ;
Raoul, je veux aimer, Raoul, je veux Aimienne
Ou bien n'importe qui... – Penses-tu réussir !
Rien ne viendra troubler mon rêve taciturne
Vous ne fûtes jamais aussi sec que je suis
Et pourtant je suis plein de désespoirs nocturnes
Je cherche comme vous l'amour... l'amour qui fuit
Et voilà donc pourquoi cette nuit qui s'allonge
S'adoucira sans doute au troublant souvenir
Des premières amours de Raoul de Vallonges,
Comme seule une nuit d'été peut s'adoucir...
Weber, Lundi 23 juin 1924
minuit moins vingt.
texte complet du poème trouvé ici





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